21.1.09

Pourquoi la France a-t-elle perdu son cinéma italien ?

Enquête réalisée par Magali de Barrin et Aurora Bergamini



« Miracle » à Paris pour le nouveau cinéma italien. Le festival
Cinema Miracolo qui s’est déroulé à l’espace Pierre Cardin, du 12 au 17 novembre 2008, a proposé au public français des œuvres de cinéastes de la nouvelle génération du cinéma italien. Celle-ci a des difficultés à sortir des frontières nationales, « un peu à cause de la concurrence américaine, un peu à cause du manque de distributeurs », expliquent les organisateurs, tels que les cinéastes Carlo Mazzacurati, Paolo Virzi, Claudio Cupellini, Francesco Munzi et Anna Negri pour ne citer qu’eux.

Inconnus en France ? Normal, le public français s’est arrêté aux années 60 en matière de 7e art transalpin. Aux Fellini, Pasolini, De Sica, Rossellini. Comme le démontrent d’ailleurs les programmations des cinémas d’art et d’essai à Paris, ou la classification des Cahiers du Cinéma qui vient de sortir « Les 100 plus beaux films du monde » où les neuf films italiens choisis sont de cette période. Le festival de cinéma italien de Paris, comme d’autres en France, dont ceux d’Annecy et de Grenoble sont l’occasion de relancer dans l’hexagone les oeuvres de ces nouveaux interprètes du panorama italien. « On veut faire connaître ce qu’il y a de nouveau en Italie mais surtout relancer le cinéma italien en France et mettre en valeur les talents d’une nouvelle génération de cinéastes. Le cinéma est jeune! » a déclaré le créateur de mode Pierre Cardin, qui a financé le festival de Paris. Il a ajouté « je suis fier d’être italien. C’est par passion que je fais les choses, pour le respect du cinéma, et pour mon plaisir. On est tous européens, il n’y a plus de frontières ». L’idée revient tout entière à Cardin, d’origine italienne, qui n’a pas lésiné sur les dépenses pour cet événement auquel il croit beaucoup.

Pour cette deuxième édition, les Français ont représenté une bonne moitié du public, l’autre partie étant italienne résidant à Paris. Mario Serenellini, délégué artisique du festival, affirme d’ailleurs, que « le festival a attiré un bon nombre de spectateurs français » [lire interview écrite]. Cependant, faute de promotion dans la presse spécialisée notamment, le public était parfois épars dans les salles, lors des projections. Pourtant, des cinéastes prestigieux, metteurs en scène et acteurs ont participé aux séances, comme Claudia Gerini, Luigi Lo Cascio, Pepe Servillo, Sandra Ceccarelli, Alba Rohrwacher et Valentina Lodovini. Le vainqueur de la compétition a été incontestablement Il Dolce e l’amaro, d’Andrea Porporati, puisqu’il a remporté le prix du meilleur film et celui du meilleur acteur.

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Le cinéma italien en nette reprise

« On est très content de recevoir cette reconnaissance, de notre film et aussi du cinéma italien » a déclaré Luigi Lo Cascio, prix du meilleur acteur pour Il Dolce e l’amaro, lors de la cérémonie de clôture, « ce festival si jeune a déjà une identité très précise. En particulier il est très élégant et informel en même temps ». Le metteur en scène de Il Dolce e l’Amaro a observé que « Le film a bien marché en Italie. En France il a été vu pour la première fois et ça a été un test important. » Pour lui, « la France est très importante, c’est la patrie du cinéma et peut-être le plus grand marché en Europe pour le cinéma. » Pour Porporati, le cinéma italien est en nette reprise, « depuis une dizaine d’années, différents films italiens ont gagné la palme d’or à Cannes » ( Nanni Moretti avec la Chambre du Fils, en 2001), a-t-il observé, « les films récents doivent s’étoffer, l’important c’est qu’il rencontre les goûts du public. Que commence une route et qu’elle ne soit pas limitée à notre potage.»
« Dommage que la France ait oublié un peu le cinéma italien d’aujourd’hui, estime un cinéphile interrogé [lien vers micro-trottoir], Je ne savais pas qu’il y avait ce festival. Il n’a pas eu tellement de publicité. J’aime les films de l’âge d’or du cinéma italien, mais j’ai moins l’occasion de voir ceux d’aujourd’hui ». Alors q’un autre explique : « le festival de Cannes de cette année m’a semblé assez emblématique d’un certain retour à l’âge d’or du cinéma italien, avec Il Divo. Je crois que le cinéma italien a toujours été plutôt apprécié en France, et j’espère qu’il retrouvera en France sa splendeur d’antan. »

Aujourd’hui, au-delà de Romanzo criminale qui avait eu un certain succès au box-office en 2006 avec plus de 300 000 entrées, ou Gomorra, présenté et salué au festival de Cannes 2008, en remportant le grand prix du jury, il y a peu de nouveaux films italiens en France. Faute peut être de la distribution et de l’intérêt restreint de ce type de cinéma par rapport aux grosses productions américaines. L’Hexagone connaît cependant une certaine réouverture aux films italiens d’aujourd’hui. Un nouvel âge d’or du cinéma se profile dans l’avenir du cinéma transalpin.





Ludovico Ortona, ambassadeur d'Italie.



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"Le cinéma italien est plus vivant que jamais !"

Journaliste italien, délégué artistique du festival Cinema Miracolo et responsable du choix des films en compétition, Mario Serenellini a accepté de répondre à nos questions.



En quoi est-ce un miracle de ramener le cinéma italien en France ?

Faire du cinéma en Italie, c’est un miracle. C’était le refrain de Marco Ferrelli dans les années 60. Et pourtant, c’était l’âge d’or du cinéma italien : Antionioni, De Sica, Pasolini, Visconti, Fellini, Rossellini, Lattuada, Germi, De Seta, Pietrangeli, Bertolluci, De Santis, Risi, Bellocchio, Monicelli, Scola, Lizzani, Pontercorbo, Gregoretti, Mommecini… Les auteurs étaient soumis à l’humeur des producteurs, aux contrôles de conformisme politique (la démocratie chrétienne, à l’époque), la censure, à la méfiance de la critique et du public qui venait de diriger le néoréalisme, et n’était pas encore capable d’accepter le miroir impitoyable de l’Italie contemporaine, qui était la comédie italienne douce-amère : boudée en Italie mais immédiatement réévaluée en France. Les propos de Ferrelli seront encore valables pour le cinéma italien d’aujourd’hui. Le miracle est double cette fois. Parce que la complicité avec le public ( italien et surtout français) s’est depuis longtemps interrompu et que plusieurs difficultés _ dans la production, dans la distribution, et l’inspiration _ on arrête le grand élan d’autrefois, et toutefois le cinéma italien est toujours là qui frappe à la porte : vif, inventif, surprenant. Ce festival, comme d’ailleurs de nombreux festivals en France (Annecy, Villeroupt, Grenoble) lui a redonné la visibilité et la possibilité d’être à nouveau familier au public français.

Quels sont les cinéastes d’aujourd’hui et les thèmes du cinéma italien ?

On assiste à un double essor : l’affrontement des thèmes sociétaux forts, urgents, comme la corruption politique, l’exploitation du travail légal, le chômage des jeunes _ qui ont fait parler après le succès à Cannes de Gomorra et Il Divo _ d’un néo-réalisme et la contamination éthique-esthétique dû au phénomène montant de l’immigration. Ces tensions ces préoccupations, ces alarmes sociales, le cinéma italien d’aujourd’hui a recommencé à les mettre en scène ( Lezione di cioccolato de Claudio Cupellini et Tutta La Vita Davanti de Paolo Virzi, grand succès de la saison 2008 en Italie, ou Mare Nero de Federico Bondi, Il Dolce e l’Amaro d’Andrea Porporatti, et Pa-ra-da de Marco Pontecorbo, qui étaient en compétition durant le festival. Travail précaire, travail clandestin, mafia, nouvelle pauvreté, immigration dans le faux Eldorado appelé Italie sont au cœur de ces films réalisés par de jeunes auteurs, entourés de la jeune génération d’interprètes. Mais surtout, ces films suscitent et développent de façon nouvelle le langage propre au cinéma italien qui lui a valu sa renommée dans le passé : la photographie de la réalité et la parabole sarcastique, paradoxale, parfois cynique de la comédie. C’est la confirmation ou la promesse que le cinéma italien est en train de réaffirmer son identité.

Quel bilan pouvez-vous tirer du festival ?

Je peux dire que le cinéma italien est plus vivant que jamais. Il a attiré un bon nombre de spectateurs français. On espère que ce sera l’occasion d’augmenter les échanges entre Italie et France dans le domaine du 7e art.

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Le Festival qui fait redécouvrir le cinéma italien à la France

Relancer le nouveau cinéma italien en France, surtout celui de la nouvelle génération de metteurs en scène. C’est le but de Cinema Miracolo, le Festival du film italien qui a été organisé à l’Espace Cardin. « C’est une façon de faire connaître la vie, la culture, l’esprit de l’Italie d’aujourd’hui », a commenté le créateur Pierre Cardin. D’origine italienne, puisqu’il est né près de Venise, c’est lui qui a lancé ce projet et qui l’a financé dans sa totalité, en l’accueillant dans son théâtre de l’avenue Gabriel.



Pour le public français, les acteurs italiens, ce sont Marcello Mastroianni, Sophia Loren, Claudia Cardinale, ou encore Vittorio Gassman. Depuis environ vingt ans, le cinéma de nos voisins transalpins fait figure de cinéma d’art et d’essai, de vieux films un peu « nouvelle vague » à la Dolce Vita. Ou bien de films loufoques mais dramatiques tels que La Vie est Belle (La Vità è bella) de Roberto Benigni. Et pourtant, au contraire, le 7e art en Italie n’a pas disparu, et vit encore plutôt bien. C’est donc un problème d’ignorance… Et c’est contre cette méconnaissance que Pierre Cardin a choisi de lutter en créant ce festival.

La marraine du festival était l’actrice italienne Laura Morante. Les films en compétition étaient au nombre de sept, avec, entre autres Riprendimi d’Anna Negri, Il Resto della Notte de Francesco Munzi, et Il Dolce e l’Amaro di Andrea Porporati, qui a gagné le prix du meilleur film et du meilleur acteur, pour Luigi Lo Cascio. Ont été projetés des succès « Made In Italy 2007 » comme La Giusta Distanza (la bonne distance) de Carlo Mazzacurati et Tutta La Vita Davanti (la vie devant nous) de Paolo Virzi, ou encore Giorni e Nuvole (jours et nuages) de Silvio Soldini. « Le cinéma italien est une des cinématographies les plus importantes d’hier comme d’aujourd’hui », a observé le metteur en scène argentin Santiago Amigorena, membre du jury, avec l’actrice Gabrielle Lazzure, l’actrice Nora Arnezeder, le journaliste Laurent Danielou, et François Guerrar, spécialiste du cinéma.

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Les hauts et les bas du festival Cinema Miracolo

Une sélection des deux films qui ont retenu notre attention, et de celui qui fait figure de vilain petit canard…

Après Gomorra, c’est au tour d’Andrea Porporati d’aborder le sujet dans Il dolce e l’amaro, pour le moins épineux de la mafia italienne. Début des années 80, Saro Scordia (Luigi Lo Cascio) a grandi à Catane, fasciné par la Cosa Nostra, il finit par y entrer. A-t-il pourtant les épaules pour une vie dans la criminalité ? Voici le sujet du film. Très réaliste. Il renvoie au néo-réalisme italien des années 60. Mais faut-il qu’un film renouvelle les techniques anciennes pour être reconnu ?







Luigi Lo Cascio avec le jury du festival


Un film d’amour aussi palpitant qu’un film d’horreur. Voici comment on pourrait définir le grand succès 2008 en Italie, La Giusta Distanza ("la bonne distance", en français dans le texte) de Carlo Mazzacurati. Magnifique l’interprétation de la nouvelle étoile montante du cinéma italien, Valentina Lodovini. Le décor : une campagne oubliée, à l’embouchure du Pô. L’histoire : Mara, enseignante qui doit partir au Brésil, tombe amoureuse du mécanicien tunisien du village, Hassan. Autour de cette romance, les événements prennent une tournure inattendue et tragique. La force du film tient au paradoxe entre une quotidienneté apparente et une histoire qui sort de l’ordinaire. Malheureusement, ce film, sorti sur les écrans italiens au printemps 2008, est prévu à une date encore incertaine de ce côté-ci des Alpes.


Carlo Mazzacurati, réalisateur italien du film La Giusta distanza


Un homme seul au XXIe siècle est-il encore incapable de se débrouiller à la maison ? Michèle a perdu son travail, il risque de perdre aussi sa femme. Sa femme, qui est la travailleuse du foyer. Et lui ne s’en sort pas… Un peu cliché, le film de Silvio Soldini, et surtout machiste, il donne à l’Italien l’image archaïque de l’homme qui doit travailler. Giorni e Nuvole est la déception du festival Cinema Miracolo.

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Les lauréats du festival Cinema Miracolo

Prix distribués aux films lauréats du festival Cinema Miracolo

Prix du Meilleur Film : Il dolce e l'amaro d'Andrea Porporati

Prix du Jury : Il resto della notte de Francesco Munzi

Prix d'Interprétation Masculine : Luigi Lo Cascio dans Il dolce e l'amaro

Prix d'Interprétation Féminine : ex-æquo Valentina Lodovini et Alba Rochwacher dans Riprendimi d'Anna Negri.

Prix du Public : Pa-ra-da de Marco Pontecorvo


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L'avis de quelques cinéphiles...

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