7.1.09

Marché de la photo : la fin de l’eldorado ?

Enquête réalisée par Laura Roland

Salon de la photo, Paris Photo, grandes expositions (rétrospectives Henri Cartier Bresson et Walker Evans, Lee Miller) la photo était à l’honneur à Paris en novembre. L’occasion de faire le point sur ce marché en ces temps de crise financière et après une envolée des prix au début des années 2000.

Le petit monde des galeristes et des collectionneurs s’était donné rendez vous à Paris Photo au Carrousel du Louvre mi-novembre. Trois jours pour voir et acheter ce qui se fait de plus coté en matière de photo aujourd’hui.

Du beau monde pour un résultat en demie teinte. Si les ventes ont été plutôt à la hauteur des espérances, une certaine frilosité semble gagner les acheteurs. Les transactions ont tout de même atteint la somme de deux millions d’euros.

Pour Guillaume Piens, le directeur de la manifestation, les « ventes sont plus lentes, il y a beaucoup de réservations, la valeur sûre guide beaucoup les achats ».

Un constat partagé par les galeristes dont Christine Ollier qui dirige la galerie parisienne Les filles du Calvaire : "On a moins vendu mais on survit très bien. C'est un choix plus rationnel, plus pensé ", 50 œuvres au total vendues entre neuf cent euros pour les Polaroids de Corinne Mercadier à 15 000 euros.

Voir la réaction des galeristes.

Selon l'experte Simone Klein, "la vente a bien marché mais on a bien senti qu'il y avait une crise. Les acheteurs étaient sélectifs mais il y a eu quelques folies". Hans P. Kraus, spécialiste de photographie ancienne, a réalisé des ventes "en hausse par rapport à 2007" et a cédé une œuvre de Frederick H. Evans à 125 000 dollars (99 500 euros).

Moins de succès du côté de Sotheby's dont la vente de l’ensemble de 192 images appartenant au libraire André Jammes et à son épouse Marie-Thérèse n’a pas battu de record.

La participation internationale n’a pas faibli malgré la crise, comme en atteste la venue de nombreux groupes étrangers. Robert Mann, célèbre galeriste new-yorkais, qui participait à Paris Photo pour la première fois, s’étonne : « Je n’ai jamais vu autant de grands conservateurs de musées américains en une semaine : Peter Galassi, directeur du département pour la photographie du Moma, Sandra Philips, conservatrice en chef au SFMoMA San Francisco, Paul Roth, conservateur en chef de la Corcoran Gallery à Washington, Kaywin Feldman, directeur du Minneapolis Institute of Arts… »

Malgré des ventes correctes et un joli succès d’estime et de fréquentation (37 760 visites contre 32 100 en 2007) le marché de la photographie en France se situe très loin derrière le marché américain. A New York, entre le 6 au 12 octobre, Sotheby’s, Christie’s et Phillips ont réalisé un produit de ventes de 22,9 millions de $.

Résultats des courses : pas de triomphalisme mais un soulagement du côté des acheteurs et des organisateurs. Cependant si le marché de la photo a plutôt bien résisté à un contexte économique peu porteur, les ventes de Paris Photo ne doivent pas cacher la réalité d’un secteur de plus en plus concurrentiel.


----------------------
Cannes, Avignon, Paris même combat ?

Et si on mesurait le succès d’un festival à sa version « off » ? Comme à Cannes pour le cinéma et Avignon en théâtre le ‘Off’ du Mois de la photo est tenu en parallèle, « avec pour but d’offrir une sélection alternative, plus jeune, dynamique, accessible et moins conventionnelle. » Après dix ans d'absence, ce festival a de nouveau été organisé, en 2006, à l'initiative de Paris Photographique. Créée dans l'intérêt des photographes, par des photographes, elle se donne pour but d'encourager les artistes émergeants ou établis, à exposer et vendre leur travail. L'idée est également de créer un réseau de connaissances entre galeries, acheteurs, agents de photos et artistes.

Evénements à ne pas rater :

- Le vernissage pour le lancement du festival le 5 novembre à la cartonnerie
- Enfants et bidonvilles de Juan Pablo GUTIERREZ à la galerie La vache bleue
- Rendez-vous ouverts aux photographes professionnels à la Cartonnerie

Toutes les infos sur le festival ici.


--------------------
Zoom sur les photographes professionnels

Si Paris Photo constitue le premier salon mondial de la photographie, il ne rend pas compte à lui tout seul du marché de la photographie en France. A côté des stars, d’autres tentent difficilement de vivre de leur art. Dans le cadre du Salon de la Photo certains professionnels ont exprimé certaines revendications. Pour Pierre Ciot, président de l’Union des Photographes Créateurs « la réalité n’est pas la même pour tout le monde. Les galeries sont très contentes de leurs ventes mais les plasticiens sont obligés d’avoir d’autres activités pour s’en sortir». Il dénonce les difficultés pratiques que rencontrent les photographes à vendre leur tirage à des prix décents notamment par la question des « Droits réservés ». Pour l’association il s’agit ni plus ni moins que d’un vol. A cela s’ajoute le développement de stocks d’image sur Internet qui permet à des sociétés commerciales de brader des stocks de photo à un euro et de réaliser une forme de dumping photo et d’une concurrence déloyale. Pierre Ciot conclut, lapidaire, « Il y a une vraie crise de la photographie. Il y a des groupes de magazines très spécialisés où il n’y a plus de budget photo : on a des iconographes en charge de trouver des documents photographiques auprès d’offices de tourisme, de services de presse des grandes entreprises….pour illustrer leurs revues, et ça ne coûte rien ».

Voir la vidéo de la conférence de Pierre Ciot ici.


--------------------
Trois questions à Fabien Breuvart, photographe multiple

A la fois galeriste et photographe. Comptant parmi les précurseurs de la « photo trouvée » il a ouvert sa galerie dans le Marais il y a quatre ans et enchainé les projets. Un des derniers « Vas y montre ta carte » en réaction à la mobilisation des Sans Papiers à la Bourse du travail lui a valu une certaine notoriété. Dans le cadre du Mois de la photo, il pose un regard lucide sur son travail et sur le marché de l’art (voir le portrait de Fabien Breuvart).

Vous présentez « Identités, dans le cadre de la photo, de quoi s’agit-il ?

Le projet s’appelle Identités. L’idée s’est de faire se rencontrer deux personnes qui ne se connaissent pas et de les photographier ensemble. C’est un projet que j’ai rédigé en seulement deux jours après avoir été contacté par le service culturel de la mairie. Pour l’instant ça ne prend pas trop. Je n’ai eu que deux coups de téléphone de personnes intéressées. Il n’y a eu quasiment aucun papier à part sur France Culture. J’ai juste mis la description de mon projet avec l’en tête du Mois de la photo sur ma vitrine comme ça au moins les gens savent que j’y participe et cela me donne une certaine légitimité.

Aviez vous déjà travaillé pour le Mois de la photo ?

Il y a dix ans j’avais filmé des gens à la MEP. Le projet s’appelait A chacun son image. La vidéo était diffusée sur le chemin menant à la cafeteria. Le thème c’était : « Qu’est ce que la photo représente pour les gens ?» Le but ? Amener les gens à dire pourquoi ils aiment une image et la difficulté à le faire. C’était un de mes meilleurs projets. J’étais rémunéré. L’enregistrement aduré dix jours. Il y avait plein de journalistes grâce à un gros plan de communication. On pensait que les gens viendraient avec une photo d’un photographe connu et pas avec une photo personnelle. Je ne pensais pas avoir autant de réactions.

Que pensez-vous du marché de la photo à l’heure actuelle ?

Ca devient délirant. On rentre dans du spéculatif. Certaines photos atteignent des sommes folles comme celle de Gustave Le Gray vendue à 700 000 euros. D’ailleurs c’est des prix qu’on voit à Paris Photo. Mais je pense que c’est bientôt la fin de l’eldorado. Ne vont s’en sortir que ceux qui proposent des prix abordables.

Pour moi la photo ne concerne pas que l’élite. C’est ce que je fais en proposant des photos à un prix abordable à partir de sept euros. Mais pour travailler j’ai très peu de moyen. C’est très difficile de construire quelque chose.

Les derniers projets de Fabien Breuvard:

La Charlot Academy
Identités
Vas y montre ta carte


--------------------
Le livre photo se fait un sang d’encre


Surproduction, réseaux de diffusion limités, coût de fabrication de plus en plus élevés comment le livre de photo tire son épingle du jeu ?


Samedi 15 novembre, Paris Photo au Carrousel du Louvre. Discussion entre spécialistes pour un constat mi-figue mi raisin.

Les débuts du marché du livre photo

Selon Irene Attinger, responsable de la bibliothèque à la Maison Européenne de la photo, l’explosion du livre photographique date des années 90, époque où la photo est reconnue comme institution avec des départements spécialisés dans les universités, dans les musées d’art moderne, le développement de galeries.

La question de la production et de la diffusion du livre

Pour J-C Bechet, responsable Hors Serie du magazine Réponses Photo « tout le monde veut faire des livres mais cela nécessite une vraie connaissance. Et c’est un secteur où il y a plus de gens qui produisent que de gens qui achètent. » Ajouté à cela le problème de la rentabilité du livre. Patrick Remy, responsable Steidl France : « Sur un livre à 50 euros, 25 sont déjà consacrés à la diffusion et la distribution. » Le second problème pour les éditeurs est de diffuser et vendre un livre.D’un point de vue strictement commercial il y a les recettes qui marchent : une photo sur la couverture et la préface d’un auteur connu, « l’effet pile » (empiler les livres pour attirer le client), la multiplication de livres grand format, mais qui laissent de côté toute une partie de la production.

Quelle possibilité de financement

Les éditions Steidl comptent entre autres sur les projets avec certaines griffes de luxe, Chanel, Vuitton, Dior,… Les partenariats sont également une source de revenus stable : la MEP, le Jeu de Paume ou encore la fondation Cartier Bresson assurent une partie des ventes. Dominique Gaessler, créateur des éditions Transphotographic Press évoque l’effet tremplin d’une exposition pour soutenir la vente d’un livre.

Y a t'il trop de livres photos ?

La question de la surproduction se pose donc pour Sylvie Hugues, rédactrice en chef de Réponses photo, à laquelle les intervenants répondent plaisir de découvrir, investissement sur certains projets, intimité avec l’artiste, laissant le mot de la fin à JC Bechet : « L’éditeur n’est pas seulement utile pour un financement, il permet aussi un regard extérieur ».

Voir l’interview d’éditeurs


--------------------
Lee Miller , Un portrait en kaléidoscope


Multiple. Si il y a une seule chose à retenir de la carrière et de la personnalité de l’américaine Lee Miller (1907/1977) c’est bien celle là. Accepter de se laisser surprendre. On rencontre d’abord l’actrice avant l’égérie mode, la photographe, la correspondante de guerre. Un film de Jean Cocteau, Le sang d’un poète, où elle incarne plusieurs personnages. La fiction rejoint la réalité. Compagne et muse de Man Ray, elle se fait avant tout connaître comme mannequin, pour Vogue à la fin des années 20. Une beauté sculpturale photographiée entre autre par Edward Steichen baptisée « Lee Miller en chapeau de soleil ». De modèle à photographe, il n’y a qu’un pas qu’elle franchit au début des années 30 en créant son propre studio. Suite à sa rupture avec Man Ray elle épouse l’Egyptien Eloui Bey, et le suit au Caire. A l’aube de la Deuxième guerre mondiale, elle devient reporter de guerre pour Brogue, l’édition britannique de Vogue. Présente en Normandie lors du débarquement elle participe à l’évacuation de blessés par avion ou d’opérations de chirurgie.

Femme aux nombreux amants, photographe de mode, de publicité, de paysage, grande voyageuse, photoreporter, journaliste, ayant fréquenté les plus grands (Man Ray, Edward Steichen, Pablo Picasso, Max Ernst) proche des surréalistes, Lee Miller a été une grande figure de la photographie injustement méconnue dans cet univers masculin. Cette rétrospective offre un regard pluridimensionnel et représentatif de cette artiste touche à tout.

Exposition au Jeu de Paume jusqu’au 4 janvier.


--------------------
Guide pratique des expositions

Sabine Weiss, « Un demi siècle de photographies »
Maison Européenne de la Photo

Henri Cartier-Bresson et Walker Evans, Photographier l'Amérique, 1929-1947
Fondation Henri Cartier Bresson

L'art de Lee Miller,
Jeu de Paume Au site concorde

Erich Salomon, Le roi des indiscrets, 1928-1938
Jeu de Paume, Hotel Sully

Objectivités. La photographie à Düsseldorf
Musée d’art moderne


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire