Enquête réalisée par Madeleine Bourgois, Fanny Stolpner et Thomas Stélandre
Depuis la Palme d’or d’"Entre les murs", de Laurent Cantet, la question de l’enseignement dans les quartiers sensibles est au cœur du débat public. Comble de l’ironie, une semaine après sortait "La Belle personne" de Christophe Honoré, film dont l’action se situe dans un lycée "privilégié". Prioritaire, Privilégiée : état des lieux d’une zone d’éducation à l’autre.
Bande annonce d'"Entre les murs"
Bande annonce de "La belle personne"
Le sigle ZEP désigne les zones dans lesquelles sont situés les établissements confrontés à d’importantes difficultés sociales sur le territoire français. Définies depuis 1981, sur proposition d’Alain Savary, alors ministre de l’Education dans le gouvernement de Pierre Mauroy, les ZEP furent créées pour lutter contre l’échec scolaire, en dotant les écoles et les collèges concernés de moyens supplémentaires. L’augmentation du nombre d’enseignants, d’assistants, de surveillants, ainsi que la réduction des effectifs par classe, devaient permettre d’offrir de meilleures chances d’assimilation et de réussite aux élèves les moins favorisés. Si de telles zones ont pu ainsi être délimitées, et le sont encore aujourd’hui, il existe aussi, à l’inverse, des zones indéniablement « privilégiées ». Dans les beaux quartiers de la capitale, notamment le XVIe arrondissement, quelques établissements font figures de référence, à l’image de Janson de Sailly. De la zone prioritaire à la zone privilégiée, l’écart semble vertigineux.
Pourtant, le système français continue à prôner un « collège unique », un « collège pour tous », en accord avec un certain idéal républicain. Le ministère de l’Education nationale indique ainsi que « L’élévation de la proportion de bacheliers généraux parmi les enfants issus de milieux ‘‘défavorisés’’ » est l’un de ses objectifs, « visé par la politique de promotion de l’égalité des chances (loi du 31 mars 2006) et dont le suivi fait l’objet d’un indicateur LOLF : sa valeur est estimée à 18 % en 2006, avec une cible de 20 % en 2010 ». Si l’on en croit les enquêtes de l’INSEE, « La réduction des inégalités scolaires » n’est pas un leurre, mais un constat. Dans les faits, néanmoins, difficile de croire à une véritable « égalité des chances » ou, plutôt, à une égalité dans l’enseignement reçu par les élèves du secondaire.
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Un désir d'égalité qui a ses limites
Les dernières réformes menées en matière d’éducation et d’enseignement (sous les gouvernements Villepin et Fillon) insistent sur la volonté d’aplanir les disparités sociales, afin d’offrir les mêmes chances à chacun. Ce désir d’équité se manifeste par diverses mesures :
* La loi sur l’égalité des chances, entrée en vigueur en mars 2006, met en place plusieurs réformes sur l’emploi et l’éducation, notamment la création de classes préparatoires en ZEP.
* Le décret sur le socle commun de connaissances et de compétences, datant aussi de mars 2006, établit sept piliers de ce que « nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire », dont la « maîtrise de la langue française ».
* Plus concrètement, le programme de français au collège vise l’acquisition de « repères communs », par la lecture de textes qui constituent « les piliers de la culture commune ». En classe de troisième, l’enseignant met l’accent sur les XXe et XXIe siècles. Se croisent Romain Gary, Tahar Ben Jelloun, Guillaume Apollinaire.
En dépit de ces efforts, les chiffres délivrés par le ministère de l’Education nationale ne nient pas l’évidence : les écarts de niveau entre les établissements expliquent en partie les différences de structure sociale. En français, la différence est encore plus flagrante.
A la fin de la troisième, on estime que 80% des élèves ont acquis les compétences de base en français : compréhension des textes, maîtrise des outils de la langue. En ZEP, le taux baisse sensiblement, et ne concerne plus que 70,5% des élèves, tandis qu’en mathématiques, il remonte à 81,2%. Une réalité à mettre en lien avec la réussite des collégiens selon le milieu socioprofessionnel dont ils sont issus (cf document ci-dessous). Sans grande surprise, les jeunes qui obtiennent les meilleurs résultats sont les enfants de cadres supérieurs et d’enseignants, et ceux qui échouent le plus sont les enfants de personnes sans activité professionnelle.
Les établissements étudiés plus précisément, le collège Pablo Neruda à Stains et Janson de Sailly à Paris, sont séparés d’un écart de plus de vingt points en taux de réussite au brevet des collèges 2007 : 67,6% pour Pablo Neruda, 88,1% pour Janson de Sailly.
Pour en savoir plus : Sites de l’académie de Créteil, de Paris, et du ministère de l’Education nationale.
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Deux voix, une même foi en littérature
Ils représentent deux générations d’enseignants : leur regard sur le métier diffère, ainsi que leurs expériences. Ils ont en commun de se fonder sur un enseignement des « classiques » de la littérature, car ce sont ces textes qui suscitent le plus l’intérêt des élèves, quels qu’ils soient. L’un comme l’autre insistent sur la nécessité de mettre en place une discipline rigoureuse, qui est le préambule à toute pédagogie.
Dominique Le Cam, 52 ans, a d’abord été professeur de français dans le Nord de la France. Ensuite, elle a passé 22 ans à Créteil, dans un collège de ZEP. Elle a fini par obtenir sa mutation à Paris intra-muros, qu’elle ambitionnait depuis le début. Désormais, elle enseigne donc au collège Janson de Sailly, dans le XVIe arrondissement. Marquée par sa longue expérience à Créteil, elle ne cache pas que l’environnement urbain et socioculturel de Janson de Sailly rend l’exercice du métier beaucoup plus agréable. Toutefois, souligne Dominique Le Cam, Janson de Sailly est un établissement public, qui ne sélectionne pas les élèves à l’entrée au collège, comme le font des collèges privés tels que Saint-Louis de Gonzague, aussi dans le XVIe arrondissement. Les profils et les parcours personnels des élèves sont donc encore assez éclectiques.
Interview de Dominique Le Cam
David Siozac a passé son Capes en 2006. Auparavant, il a été maître auxiliaire dans plusieurs établissements, et a enseigné un an en Nouvelle-Calédonie. Après son année de stage, il a été nommé au collège Pablo Neruda de Stains, en Seine Saint-Denis, dans l’académie de Créteil. Il a décidé de se mettre en disponibilité après un an à Stains pour, dit-il, « bien réfléchir, car je n’en pouvais plus des élèves. Mais ce n’est pas à eux que j’en veux ». Son regard sur l’enseignement dans les collèges est très rationnel et réaliste, mais il témoigne aussi d’une certaine rancœur vis-à-vis de l’émergence de ces « ghettos ».
Interview de David Siozac
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Qu’en disent les élèves ?
Il y a de l’ambiance, devant les grilles épaisses de Janson de Sailly, dans le XVIe arrondissement de Paris. Ça crie, court en tous sens. A 16h45, des classes de troisième et quatrième sortent, accompagnées d’un jeune surveillant, qui ouvre et ferme les portes derrière les élèves. Marie et Kumba sont en troisième. Elles livrent leurs sentiments sur leur établissement et sa très bonne réputation.
Micro-trottoir Janson de Sailly
Les élèves sont conscients d’étudier dans un environnement scolaire favorable, ce qu’ils considèrent comme une « chance ». Les cours de français ne les passionnent pas vraiment, mais ils reconnaissent un intérêt pour les livres étudiés. Certains ont l’opportunité de pousser plus loin la découverte des œuvres, comme Marie, que son père emmène régulièrement au théâtre. Mais que l’on ne s’y méprenne pas : peu d’élèves dévorent les livres de la bibliothèque de leurs parents ou discutent littérature chez eux. « Mes parents ne parlent pas français. Je suis la seule à lire en français à la maison » déclare Kumba.
« Ici ça galère ! » clame Nordin, les yeux rieurs, lorsqu’on lui demande quelle est l’ambiance dans son établissement, le collège Pablo Neruda de Stains (93). « Ça se bagarre, ça fout la merde. C’est difficile de ne pas être influencé » affirme Chanis, élève de troisième. Pourtant, le vendredi après-midi, il n’y a a priori pas grande différence avec la sortie des élèves de Janson : mêmes cris, mêmes courses-poursuites, curiosité et questions similaires : « Tu fais quoi Madame ? Ça va passer à la télé ? ». Pas besoin d’insister très longtemps pour s’entretenir avec les adolescents. Aïcha et Myriam définissent ainsi leur collège :
Micro-trottoir Pablo Neruda
Conscience aigue d’être dans un établissement «difficile », de ne pas avoir les mêmes chances que les « babtous, les p’tits bourgeois », tous soulignent le décalage entre ce qu’ils étudient au collège et ce qui se passe en dehors, dans « la vraie vie ». Rapport tendu avec les profs, difficultés à communiquer : le fossé semble grand entre le corps enseignant et les jeunes. Mélanie raconte : « Notre prof, c’est un universitaire. Il a pas l’habitude que les élèves fassent n’importe quoi ; il sait pas comment réagir, il arrive pas à se faire respecter. Du coup, c’est la récré en cours. On parle, on mange, on fait notre vie, comme s’il n’était pas là ». Chanis est intéressé par les cours de français, mais avoue ne pas se reconnaître dans les œuvres étudiées. « Le langage est bizarre. Un mélange de soutenu et de familier. Les histoires aussi. Ça nous aide pas quand on sort du collège ». Inès ajoute : « Le vocabulaire dans les livres est un peu dépassé. On voudrait plus un langage comme on parle nous, ça nous donnerait plus envie de lire ».
Pour en savoir plus :
Le site du collège Janson de Sailly : http://www.janson-de-sailly.fr/
Le site du collège Pablo Neruda : www.clubnature.fr
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