17.12.08

La taule prend le pli de la culture

Enquête réalisée par Pierre Outin et Jonathan Halimi









D
es détenus dans une grande pièce… ça change. Des prisonniers menés à la baguette… c’est rare. Depuis le début des années 1990, des actions culturelles comme le théâtre ou des ateliers de musique contemporaine sont expérimentés en milieu carcéral. Vingt ans après, où en est-on ? 64 250 détenus au 1er juillet 2008 pour 51 000 places seulement. La place dans les ateliers dits culturels ? C’est comme la superficie des cellules, tout petit… alors la culture en prison, pourquoi, pour qui et comment ?

On ne sait que très rarement ce qui se passe derrière les murs des pénitenciers. Afin d’en savoir plus, nous avons mené notre enquête auprès d’artistes qui connaissent le terrain, qui sont intervenus en prison et qui, pour certains d’entre eux, y travaillent encore.

Initier des détenus à des formes de culture classique est devenu un défi pour Nicolas Frize (compositeur de musique contemporaine) et Judith Depaule (metteur en scène). Ces projets ne peuvent se réaliser sans une coopération avec les DRAC, Directions Régionales des Affaires Culturelles, ainsi que les SPIP, Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation. Ces services régionaux dépendent eux-mêmes du Ministère de la justice. Il s’agit là d’un long processus bien verrouillé, qu’il est impossible de pouvoir contourner. La culture en prison ne peut se faire sans des financements assez conséquents. Selon, Françoise du Chaxel, auteur de pièces théâtrales et ancienne collaboratrice de Judith Depaule, un atelier théâtre sur un an coûte près de 40 000 euros.

Par ailleurs, le système carcéral français est complexe et diversifié. Au 1er janvier 2007, on compte 116 maisons d’arrêt en France, 4 maisons centrales et 13 centres de semi-liberté (voir le site: prisons.free.fr) . « Un travail d’initiation culturel en prison diffère que l’on soit dans une maison d’arrêt ou une maison centrale » déclare Judith Depaule. « Le changement, c’est inhérent à la maison d’arrêt. La composition de l’atelier évolue tout le temps. Quelqu’un peut se faire transférer ou libérer du jour au lendemain » ajoute-t-elle. La durée moyenne de détention en métropole est de 7,5 mois selon l’administration pénitentiaire. Les maisons d’arrêt comme Saint-Maur, Fresnes ou la Santé accueillent souvent des détenus en attente de jugement. Dans ces conditions, il n’est pas toujours possible d’établir des projets culturels sur le long terme. Judith Depaule rappelle que « pour monter Hamlet de Shakespeare à la Santé, il a fallu plusieurs mois de travail, ne serait-ce pour des individus qui ne sont pas habitués à apprendre des textes par cœur ». Pour les maisons centrales, il s’agit essentiellement de détenus purgeant de longues peines. Nicolas Frize a pour sa part pu mener un travail en profondeur dans la maison centrale de Poissy, où il mène des actions culturelles depuis 1991. Pour ce dernier, l’ambition de fournir de la culture « non commerciale », de la « culture rare » en prison, doit passer par un travail de fond, échelonné sur plusieurs années. Judith Depaule conteste cette vision. Pour elle, la prison engendre « une façon de travailler très particulière. Je ne voulais pas poursuivre trop longtemps. Deux ans c’était suffisant pour moi. Pour rester neuf et innovant, c’est bien de laisser sa place et de passer à autre chose ». Tous les intervenants rencontrés, sont unanimes : les actions culturelles sont nécessaires pour la santé mentale des détenus, et leur retrouver une humanité. Par le théâtre ou la musique contemporaine, l’imaginaire des prisonniers est sollicité, et, l’espace d’un atelier, ils peuvent s’évader (écouter l'interview de Judith Depaule ci-dessous).



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Un théâtre qui libère des détenus


Pendant deux ans, Julie Depaule, metteur en scène, aura animé un atelier de théâtre à la Prison de la Santé, à l’initiative du SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation). Elle nous raconte comment le théâtre, donnant « un espace de liberté », possède des vertus de réinsertions à travers un but commun propre aux détenus, comme la mise en scène de Hamlet de Shakespeare.


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Des Brecht dans les murs

Les taulards ne montent plus uniquement sur les planches pour y dormir, mais également pour y jouer la comédie. Judith Depaule a mis en scène en 2007, à la prison de la Santé, la Résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht. Il y a une longue tradition théâtrale à la Santé depuis la fin des années 1990. Durant près de six années consécutives, de 2001 à juillet 2007, le théâtre de la Cité Internationale a pris en charge cet atelier à la Santé. « Nous voulions uniquement faire intervenir des artistes : danseurs, compositeurs, acteurs et non de simples animateurs » précise Françoise du- Chaxel. « Les détenus étaient assidus aux ateliers, il y avait une demande assez importante, on a réussi à monter jusqu’à 18 détenus ce qui est de l’ordre de l’exceptionnel ». En effet, pour des raisons de sécurité et de locaux, l’administration pénitentiaire n’autorise que des groupes à effectif réduit de l’ordre d’une quinzaine de personnes tout au plus. Idem pour Nicolas Frize à la maison centrale de Poissy. Dans son atelier de musique contemporaine, il accueille cette année 16 détenus sur un total d’environ 220 prisonniers. Fort du succès de cet atelier à Poissy, ainsi que de ses concerts à verrous fermés, ce dernier a été sollicité pour mener le même type de travail à la prison de Saint- Maur. (Pour en savoir plus, un ex-détenu a crée un blog qui rapporte ses expériences de prison).

Détenus, correct exigé

Nicolas Frize, artiste et délégué national du groupe « Prisons » de la Ligue des Droits de l’Homme, a souhaité aller plus loin. En 2005, il est parvenu à mettre en place, en partenariat avec l’INA (Institut national de l’audiovisuel) une formation pour les détenus, sur les techniques de numérisation du son et de restauration d’image. Là encore, Frize a parié sur le long terme. « On ne veut pas leur faire croire qu’ils peuvent apprendre leur métier en trois mois ». Seule condition requise : avoir un niveau équivalent à la classe de cinquième. On ne peut pas accueillir tout le monde, faute de place. Durant ses deux années d’intervention à la Santé, Judith Depaule a constaté des niveaux très différents « Certains avaient le bac, d’autres non, certains reprenaient leurs études, j’avais même un détenu dans ma première pièce qui était analphabète ». Cependant, il est toujours très difficile de pouvoir réellement se rendre compte de l’état de la culture en prison sur des petits groupes d’ateliers. Judith Depaule poursuit: « quand j’ai monté Hamlet en 2006, aucun des détenus n’avait entendu parler de Shakespeare. Je ne pense pas que le niveau de la culture soit extrêmement élevé. Mais je pense quand même que ce sont des gens qui ont une certaine forme de culture pour s’intéresser à ça ». Preuve qu’aujourd’hui, des éléments de culture classique, parfois même élitistes, peuvent faire leur entrée dans les cellules…grises des détenus franciliens (écouter l'interview de Judith Depaule ci-dessous).

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Hamlet en prison : jeu ou travail ?

Les cours de théâtre en prison requièrent patience, écoute et force d'adaptation

Au cours de 16 représentations, Judith Depaule aura dû faire face aux lourdeurs quotidiennes de l’administration pénitentiaire, ainsi qu’aux difficultés d’adaptation face aux différents niveaux culturels des détenus. Au final, leur volonté d’investissement pour la langue de Shakespeare aura été fructueux. « Être ludique, tout en restant exigeant », la volonté d’apprendre prime, et véhicule « l’idée de tirer vers le haut » en faisant retrouver aux détenus « une forme d’humanité ».


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Des budgets sous écrous

Par rapport à 2007, le budget des prisons en 2008 a été augmenté de près de 4,8% , atteignant les 6, 519 milliards d’euros. Depuis près de deux ans, la plupart des crédits ont été coupés par le ministère de la justice. Et Nicolas Frize, Judith Depaule ou encore Françoise du-Chaxel s’accordent tous à dire, que le financement accordé à la partie culture est en constante diminution. Pour Nicolas Frize, un effort est fait pour « moderniser et multiplier les centres pénitenciers, afin d’incarcérer à tour de bras. Mais la culture est délaissée. On s’approche de plus en plus du système à l’américaine, où c’est la répression qui prime et non la réinsertion par la culture ». Judith Depaule constate avec regret que « la politique concentrationnaire, n’est que le reflet de la politique générale menée par le gouvernement Sarkozy. Dans l’espace public, de moins en moins de place est accordée à la culture, alors pourquoi feraient-ils des efforts pour les détenus ? ». (pour en savoir plus, cliquez ici )

Pour sa part, Françoise du- Chaxel précise, que depuis fin 2006, elle ne parvient plus à contacter l’administration pénitentiaire de la Santé, ni la DRAC d’île de France. « C’est honteux, après tous les travaux que nous avons menés là bas » soupire-t-elle. Pour cette dernière, il n’y a que Fresnes, l’une des plus importantes prisons françaises, qui fasse des efforts en matière de culture. Elle travaille désormais avec eux depuis 2007. "Ils ont beaucoup de représentations sur l’année pour les détenus et c’est toujours très bien organisé". (écouter la performance ci-dessous).

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Shakespeare en refrain


L'entrée de la culture derrière les verrous a laissé des traces indélébiles

Le travail de Judith Depaule aura fortement inspiré les détenus participant à son atelier, puisqu’ils auront crée une chanson, interprétée en guise d’épilogue de la pièce d’Hamlet (un guitariste, un percussionniste, un rappeur et deux chanteurs pour le refrain), jouée devant les détenus de la Prison de la Santé. Le texte évoque la situation d’hommes brisés par le système carcérale, en empruntant des textes du plus célèbre des anglais.


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Le théâtre à la Santé n’est plus, mais la santé du théâtre en prison, tend à se maintenir. Tous ces efforts d’actions culturelles expérimentés dans l’univers carcéral, ne sont pas que des brouillons de culture. Pour Judith Depaule comme pour d’autres intervenants, faire de la culture en prison est essentiel pour la santé mentale des détenus. Seul problème selon le Ministère, la culture coûte cher. Depuis près de deux ans, le constat est flagrant. Pour Françoise du-Chaxel et ses collaborateurs : «on revient à du socio-culturel, c’est à dire simplement à des activités occupationnelles, comme organiser des tournois d’échecs ». Bien impuissants, les détenus le cul entre quatre murs, l’ont désormais aussi entre deux chaises.

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