17.12.08

LA RATP à la recherche de la nouvelle star

Enquête réalisée par Raphaëlle Chargois, Emmanuel Haddad,

Emmanuelle Labeau, Clément Sakri.













Le point commun entre TF1, M6 et… la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) ? Tous trois sont à la recherche de LA nouvelle star musicale. Le 13 décembre, après avoir suivi les castings de l’organisme gérant les transports en commun de la capitale, la chaîne de télévision W9, en partenariat avec RTL 2, programme une émission en direct, mettant en compétition dix musiciens du métro. A la clé, un mois de promo sur la filiale TNT de M6.


> La bande-annonce de l'émission de W9






Aussi, comme pour confirmer ce nouveau statut de découvreuse de talents de la « Régie », la 3«W International Corporation, une agence de publicité "va bientôt lancer un site Internet purement dédié aux musiciens du métro", en partenariat avec la RATP.




La nouvelle politique de promotion des artistes de la RATP, à l’heure de la crise de l’industrie du disque, de l’essoufflement des émissions de té
léréalité (Star Academy, A la recherche de la Nouvelle Star), est-elle véritablement un tremplin pour ces artistes. La RATP a-t-elle inaugurée un star system décomplexé et banalisé? Croise-t-on des avatars de Keziah Jones ou Alain Souchon, révélés dans le métro, le matin en se rendant au boulot ? Quel est le véritable quotidien de ces joueurs souterrains ?


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Retours d’ascenseur

Des affiches, à l’effigie chanteur Keziah Jones ont fleuri un peu partout dans les tunnels du métro en cette rentrée scolaire 2008. L’artiste nigérian, repéré par un directeur artistique en 1991, marche main dans la main avec le service public qui lui a offert sa première scène et ainsi un contact décisif pour sa carrière. Le but de cette campagne d’affiche ? Faire la promotion du site Destination Musique, créé par la RATP.


L’attrait principal de ce portail : participer à un concours pour gagner des places à un concert de l’artiste le 9 janvier, un événement parrainé par la RATP et le label Because Music. Egalement sur le site, des leçons de guitare de l’artiste et des renseignements sur la tournée du troubadour nigérian. Tout le monde profite de l’opération : le chanteur, qui y gagne en visibilité et la Régie, qui joue la carte "proximité" avec ses usagers.
Cependant, les premières traces du buzz audiovisuel "Keziah-RATP", datent de la rentrée scolaire : en témoigne cette apparition en public, au métro Miromesnil, le 1er septembre, pour jouer quelques titres de son nouvel album, dans le cadre de quelques "concerts sauvages", pour faire la promotion de son nouvel album Nigerian Wood.


Outre Keziah Jones, la RATP se targue d’avoir lancé des personnalités telles que Alain Souchon, Laâm, Manu Dibango, Jacques Higelin, Touré Kunda, Dany Brillant ou Ben Harper.
Dernier en date, le chanteur William Baldé, qui joue à l’instar de Keziah Jones, la carte "retour d’ascenseur" envers la RATP.

Derrière ces coups "médias", rien n’est planifié à l’avance entre l’Espace Métro Accord et ses artistes. Du moins, c’est ce qu’affirme Antoine Naso :
"Les artistes sont libres. Il n’y a pas de contrats. On n’est ni une maison de disque, ni une boîte de production. Les musiciens sont libres mêmes quand ils sont accrédités, qu’ils ont le label RATP, ils ont la liberté d’aller et de ne pas aller dans le métro. S’ils veulent arrêter et ne pas nous donner de nouvelles, ils peuvent. Mais c’est tout le contraire qui se passe !"

Les succès d’un Keziah Jones ou d’un William Baldé ne se démentent pas, et se révèlent positifs pour l’image de la RATP :
"Des retombées, on en a depuis le début. Et c’est grâce aux musiciens à leur niveau et à leur diversité. Si ces musiciens n’avaient pas cette qualité artistique, je pense qu’ils passeraient inaperçus."
L'afflux des musiciens a conduit la RATP à créer en 1997 une structure d'accueil, l’Espace Métro Accords. Les musiciens deviennent des figures emblématiques des rames parisiennes. Des personnalités telles que Marie-Reine Wallet remportent un franc succès, la démarche originale, attisent la curiosité de la presse française et étrangère, et accroissent la notoriété de la RATP, la renforçant dans son statut de "découvreuse de talents". Ce modèle de recrutement est copié à "Rotterdam, de Londres ou encore d'Osaka" dixit la Régie. Ces événements marquent le début d’opérations "musique" organisées dans les rames de métro.

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De l’interdiction jusqu’au petit écran…

La connivence entre artistes et la "Régie" n’a pas été de tout temps d’actualité. Tout commence par une interdiction. Un décret du 22 mars 1942 interdit à toute personne de "faire usage d’un instrument sonore" dans les transports en commun.
Toutefois, selon Anne-Marie Green, sociologue, auteur de l’ouvrage Musicien de métro [i], deux facteurs vont favoriser l’arrivée des musiciens dans le métro : "l’évolution de la technologie notamment l’automatisation des contrôles" et l’émergence de "la dimension qualitative" de ce moyen de transport. Dans les années 1970, apparaissent les premiers musiciens jouant dans le métro. Les sons et mélodies masquent le brouhaha des voyageurs pressés et animent cet espace de transit.
En 1985, face à l’augmentation de ces saltimbanques, la RATP tente de les recenser et de canaliser le mouvement en délivrant des autorisations à soixante-quinze d’entre eux. Les "non-accrédités sont verbalisés par la police des transports. Pour Anne-Marie Green, cette fermeté n’empêche pas pour autant la présence de musiciens dits "marginaux". La hausse de la pauvreté et la précarisation des classes populaires et moyennes encouragent ce phénomène. La RATP dénonce à l’époque "la forte présence de musiciens non accrédités responsables", selon elle, "de nuisances sonores et de l’insécurité, gênant ainsi la tranquillité des voyageurs."
En 26 ans, entre 1985 et 2008, le nombre de musiciens a presque été multiplié par 5. De quoi s’interroger sur l’utilité d’une telle personnalité au cœur des artères du "sous-Paris".



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Le musicien de métro : d’utilité publique ?

Pour Anne-Marie Green, Le musicien de métro (paru aux éditions L’Harmattan en 1998) est un amoureux de musique, en quête de liberté et d’indépendance. Pour autant, se produire dans cet espace public et urbain, nécessite une relation saine avec tous les acteurs du métro et en particulier les voyageurs. Selon Green, il s’agit d’une relation souvent positive obéissant à des exigences sociales et civiques à savoir le respect d’autrui, ce qui passe en partie par la production d’une musique de qualité.
Autre critère caractéristique : ces musiciens viennent d’horizons différents, comme en témoigne la répartition géographique de la dernière sélection d’ "accrédités" (voir encadré).

La diversité des genres musicaux caractérise également la pluralité culturelle de ces acteurs nomades. Leur motivation est non seulement de gagner rapidement de l’argent mais aussi de se produire face à un public qui ne les a pas choisis.

Parce que la RATP reste une entreprise de transports, le regard artistique semble se conformer aux nécessités sociales.
Le public est la cible "numéro un" des accords qui s’échappent des guitares, saxophones et autres compagnons de route des artistes acceptés par la RATP. Les critères de sélection de l’audition en attestent : "on demande aux agents (de la RATP) de se mettre dans la peau des voyageurs. On ne veut pas quelque chose de professionnel, à l’image des musiciens du métro et des voyageurs. De la musique agréable, de qualité, non-agressive : c’est d’abord ça qu’on regarde" explique Antoine Naso, directeur de l’Espace Métro Accords.

France 44%
Amérique du Sud 10%
Europe de l'Est 9%
Asie 7%
Amérique du Nord 7%
Afrique noire 7%
Afrique du Nord 5%
Grande-Bretagne 4%
Europe du Sud 3%
Océanie 3%
Europe du Nord 2%
© Ratp 2007
[i] GREEN Anne-Marie, Musicien de métro : approche des musiques vivantes urbaines, éd. L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1998.


> L’Espace Métro Accords (EMA).

Cette structure d’accueil est responsable de l’organisation de castings, et distribue les accessits autorisant les musiciens à pouvoir se produire au sein des stations de métro à Paris. Antoine Naso directeur de l’EMA, explique les raisons de la création de cet organisme, du système d’accréditation, au service de trois catégories distinctes :
"Première cible, c’est bien sûr nos voyageurs. Pour amener de l’animation et de l’ambiance sur nos réseaux, sans que ces derniers deviennent la cible de musiciens "illicites". Deuxième cible : les musiciens eux-mêmes. Ils nous demandaient depuis des années un peu de considération, et un espace dédié où ils peuvent s’exprimer. Les couloirs de métro s’y prêtaient parfaitement et le système d’accréditation a clarifié les choses, démarquant "licites" et "illicites".
Et troisième cible bien sûr, la RATP, qui y trouve son compte grâce à l’autorégulation mise en place. Comme ça, on peut dire "vous pouvez jouer sur nos réseaux mais uniquement dans nos espaces de correspondance mais pas dans les trains : ça permet aux usagers de voyager tranquillement."

Deux fois par an, au début de l’automne et du printemps, l’EMA organise des auditions délivrant les fameux sésames, 350 en tout, valables six mois. La RATP endosse le rôle d’impresario rentrant dans une dynamique de production d'objets culturel et d'artistes.
Quid des critères de sélection ? "D’un point de vue artistique, la qualité du chant, la technique instrumentale, l’originalité. On essaie de mettre en place une certaine diversité dans les styles représentés : ça passe aussi bien par le brassage des genres musicaux que celui des nationalités et des cultures, le métro étant cosmopolite" indique Antoine Naso.

Le 13 décembre, après avoir suivi les auditions de l’Espace Métro Accords, la chaîne de télévision W9, en partenariat avec RTL 2, diffusera Station Music, un live mettant en compétition les dix musiciens de métro sélectionnés. A la clé, un mois de promo sur la filiale TNT de M6.
Dans le cadre de l’émission, le processus pour le casting a été sensiblement différent :
"On est parti de nos trois cent accrédités. Sur ces trois cents, l’Espace Métro Accords en a sélectionné quarante. Et sur les quarante, dix ont été sélectionnés par un jury plus professionnel cette fois-ci, issus de la chaîne, W9, M6, de la production, également moi-même qui faisait parti de ce jury" rapporte Antoine Naso.
Musicien de métro : panacée ou sacerdoce ?

Avec ses 1000 candidats par auditions, l’Espace Métro Accords semble susciter des ambitions. Comment expliquer l’attrait grandissant pour une activité a priori peu valorisée ?

Certes le contexte des couloirs bruyants et surpeuplés du métro n’est pas propice à la musique. Pourtant, chose incongrue, certains viennent ici pour le simple plaisir de jouer. « On s'en fout de faire des disques, d'être connu, de la radio. Ce qu'on veut, nous, c'est faire de la musique » s’avise Daniel, du groupe Los Alturenos.
Fantin Schmellz, l’un des quatre membres du groupe Phantoms of Graceland, qui reprend des standards d’Elvis Presley, avoue même que jouer face à ce public peu attentif l’a aidé à surmonter son trac. Une bonne école en somme. Reste que les passants pressés ne sont pas forcément généreux : "souvent les gens sortent trois ronds de leurs poche en décochant un sourire et continuent leur route" ajoute-t-il.
"En janvier février, on tourne plutôt autour de deux ou trois euros" renchérit Daniel, dont le groupe a développé un commerce souterrain. "Si on ne vend pas de disque, c’est difficile de s’en sortir. La RATP ne nous en donne pas le droit, mais elle laisse faire parce qu’elle sait que c’est notre gagne-pain."
L’aspect labyrinthique du métro peut dérouter, mais il procure sans conteste une certaine liberté. Carl Marcelin a transformé ses couloirs en studio de répétition : "le métro me permet de jouer des musiques qui me plaisent, des standards de jazz, et de me concentrer sur d’autres éléments de musicalité, des sons, des idées rythmiques, des patterns et des mélodies. Je l’utilise comme un moyen de gagner de l’argent, de répéter et pratiquer le saxophone."
Un luxe que tous ne peuvent pas s’offrir. Car si l’EMA met à disposition un espace, celui-ci n’est pas toujours suffisamment équipé. Détail insignifiant pour la musique acoustique, mais qui s’avère gênant dès qu’il s’agit de brancher des amplis.
"Nous, on fait plus de l’électrique, et il n’y a pas de prises dans le métro! En règle générale, plus le son est bon, plus tu as envie de jouer et plus tu donnes d’énergie", estime pour sa part Fantin Schmellz, qui regrette aussi l’absence de local pour ranger les instruments ou de salles de répétition.
Au-delà de leur pratique quotidienne, l’Espace Métro Accords propose aux artistes des projets à plus long terme. Des partenariats ont été conclus avec certains festivals de renom (Solidays, Art Rock), ainsi qu’une audition avec W9 et RTL2, pour promouvoir des artistes issus des rangs de la RATP.
Dans une moindre mesure, les membres de Phantoms of Graceland ont bénéficié du soutien personnel d’Antoine Naso, qui, séduit par leur prestation, les a dirigés vers d’autres scènes (conseil d’administration d’entreprises, hôpitaux, etc.). Cela reste un système à deux vitesses : Los Altureños ont bien eu des propositions éparses, mais aucune n’a abouti. Reste à savoir si tous sont attirés par "Star Ac du métro" . Carl Marcelin est sans équivoque : "moi je joue des choses que j’ai envie de faire. Je ne suis pas trop intéressé par les spectacles télé."


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Pour en savoir plus

Musiciens de métro, de la marginalité à la télé-réalité

- 1970 : Arrivée des musiciens des rues dans le métro.
- 1977 : La RATP organise une animation musicale sur le réseau avec France Inter : « Metro, Molto, Allegro »
- 1985 : Pour contrôler la présence des musiciens, la RATP tente de les recenser et délivre une autorisation à soixante-quinze d’entre eux.
- Janvier 1997 : Création de l’Espace Métro Accords (EMA) qui a pour mission d’auditionner les musiciens du métro et de leur délivrer un badge d’accréditation valable six mois.
- 2003 : Premier album des musiciens de métro. Il s’est vendu à 5 000 exemplaires.
- Septembre 2008 : Keziah Jones est de retour dans le métro pour un concert inédit à la station Miromesnil.
- 13 décembre 2008 : la chaîne de la TNT, W9, en partenariat avec la RATP et RTL 2, consacre une émission de télé-réalité aux musiciens du métro.













Découvrez !

> Fantin, leader des Phantoms of Graceland














La vidéo du casting


2 commentaires:

  1. http://Carl Marcelin on Private Station Peoples/page22.html

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  2. j'ai pu écouter monsieur carl marcelin en allant au boulot,il assure grave le jazz
    mais par ailleurs je me demande pourquoi un mec comme lui et avec son talent il 'n'accède pas au professionalisme ?il pourrait jouer dans des boites de jazz ,non?

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