Près d’un siècle et demi après avoir été témoin privilégié de la Commune de Paris, le 11e arrondissement est maintenant le centre d’une autre révolution : la révolution bobo.
"Toute la déco chez moi vient de New-York ou… d’Oberkampf." Cédric, 30 ans, entrepreneur, réside dans le 16e arrondissement. Le 11e, pour lui, est synonyme non pas de révolution, non pas de quartier populaire… mais de quartier branché. Entre galeries d’art, la Maison des Métallos, l’Espace Daylight, la rue qui traverse le 11e d’ouest en est et ses alentours sont devenus le temple du vintage, du chic, du choc. Rien de plus trendy en effet que de passer ses soirées à l’Alimentation générale, de bruncher au Charbon, de se meubler aux Curieuses, de voir un concert au Nouveau Casino. D’où qu’on vienne. Mixité sociale ? Pas vraiment. Entre les habitués du secteur et les résidents éternels, il y a parfois un fossé. La foule se mélange avec entrain et bonne humeur, mais lorsqu’il s’agit d’en parler, l’enthousiasme n’est pas toujours unanime. Visite de l’endroit où il faut être.
Intégré à la ville de Paris sous Louis XIV, le 11e arrondissement, et en particulier le quartier d’Oberkampf était déjà un centre d’amusements jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Encore champêtre, il attire maisons de plaisance bourgeoises et lieux de fêtes, appelés "folies", d’où vient par exemple le nom de la rue de la Folie-Méricourt. De son côté, le boulevard du Temple ne comptait en 1791 pas moins de dix petits théâtres, et de nombreuses tentes où diseurs de bonne aventure, chanteurs et forains ravissaient une foule de badauds. Cette vocation à l’amusement s’est pourtant amenuisée au siècle des révolutions industrielles. Premier témoin et acteur de la Révolution de 1789, il reste, lors des révolutions du XIXe siècle, un foyer de combattants acharnés pour la liberté. Lors de la Commune, les derniers retranchements, limités par la rue du Faubourg du Temple, la rue de la Folie-Méricourt, la rue de la Roquette et les actuels boulevards extérieurs, placent le secteur en plein centre de la bataille.
Quartier populaire, peuplé d’ouvriers et de petits artisans, jusqu’à la fin du XXe siècle, plutôt résidentiel, il est aujourd’hui le quartier branché, redevenu centre de vie et de fêtes. La rue d’Oberkampf, la rue Jean-Pierre Timbaud, bondées de bars, de restaurants, de cafés en tout genre, ont, depuis une dizaine d’années, été prises d’assaut par les noceurs parisiens de tous horizons. La tendance s’est accentuée depuis le début de la mode dite bobo, des bourgeois-bohêmes, de se réapproprier les quartiers populaires et d’en faire des lieux de villégiature à mi-chemin entre leurs valeurs bourgeoises traditionnelles et les habitudes populaires autochtones.
Il suffit de se promener dans ce périmètre, situé à deux pas de République et de la Bastille pour comprendre que le quartier est atypique et pourtant si typique de la nouvelle vague absolument parisienne. De brocanteurs en friperies, bienvenue dans le royaume du vintage. Faire du neuf avec du vieux. Revenir aux traditions tout en y diluant un modernisme qui en est bien éloigné. Leo, architecte de 29 ans, s’est installée rue de Ménilmontant il y a trois ans. "J’aime bien le quartier. Il n’est pas prétentieux. L’ambiance est conviviale, et le loyer est beaucoup moins cher que dans le centre." Autant de bonnes raisons, en effet. Et le fait que ce soit branché ? "Je ne peux pas dire que ça me déplaise. J’ai habité Greenwich Village à New-York pendant cinq ans, alors je ne me voyais pas dans le XVIIe, c’est sûr !" Et Leo n’est pas la seule à percevoir ainsi le quartier. A regarder les promeneurs, il est évident que le coin attire les amoureux de vintage. Eléonore, qui tient La Maison, une petite boutique de brocante de la rue Neuve-Popincourt le confirme : "nous sommes sept brocanteurs entre l’avenue Parmentier et la rue de la Folie-Méricourt. Je suis arrivée il y a neuf ans et j’étais la troisième. Nous sommes tous copains, maintenant." Et la clientèle ? "Des gens du quartier. De toute façon très parisienne. Toute tranche d’âge et tout style." A en juger par les gens qui entrent dans sa boutique spécialisée dans les objets années 50-60-70, le style n’est pas si éclectique que ça. Tout comme celle de ses amis, les autres brocanteurs, tout comme celle de la boutique de vêtements La Petite Fripe au 118 de la rue Oberkampf, le style est bohême, le style est branché. Perfecto en cuir, jean Diesel et it-bag Saint-Laurent. Tout comme celle aussi de la Maison des Métallos. Etablissement culturel de la Ville de Paris, ancienne manufacture d’instruments de musique en cuivre, c’est aujourd’hui un centre, destiné à réunir dans un même lieu des activités habituellement séparées – la pratique artistique professionnelle et amateur, l’échange des savoirs, les événements de quartier – pour les inscrire dans une dynamique d’enrichissements mutuels. Sauf que ce n’est pas souvent les gens du quartier qui s’y rendent.
Si le quartier d’Oberkampf tire son succès de son authenticité, les habitants de longue date ne sont pas toujours enchantés de cette évolution. Au café de l’Industrie, café qui fait l’ange entre l’avenue Parmentier et la rue Jean-Pierre Timbaud, Baba, qui habite là depuis 1976, n’envisage pas ce changement d’un œil positif. « Les gens sont égoïstes maintenant. Avant, on se connaissait tous, explique-t-il, alors que maintenant, 90% des habitants sont des arrivistes. Je me souviens du premier bar branché qui a ouvert, le Cannibal, c’était il y a environ vingt ans. Et puis six ou sept ans après, le Charbon. Maintenant, il y en a plein. Et les gens qui viennent pour sortir ne sont pas d’ici. Ils ne respectent rien. Ils salissent et ils repartent. » Baba est nostalgique des années 70. Tous les commerces qu’il a vus rachetés, fermés… Il lui semble qu’il ne reste plus rien d’avant. Le cafetier, Hocine, quant à lui, trouve que "les gens sont chics ici. Pas forcément très riches, mais très chics."
Magali de Barrin
Crédit photo : Antonin Sabot
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire